Le “75”, une école bruxelloise des arts de l’image de référence en photographie documentaire
Visiter “Le 75” m’a toujours fait regretter de ne pas y avoir été étudiant. Le bâtiment central, très lumineux, se trouve au milieu d’un beau parc du sud de Bruxelles.
Capitale européenne oblige, bien que l’école soit francophone, dès l’entrée on y entend plusieurs langues. Les tirages photographiques aux murs et les dessins sur les tables témoignent d’emblée de l’importance des ateliers. Nous sommes ici d’évidence dans la création et l’écoute. Les échanges avec les professeurs d’atelier sont permanents car chaque élève est libre de solliciter ceux-ci autant qu’il le souhaite pour l’avancement de ses travaux. Des rapports bienveillants et, contrairement à certaines institutions artistiques, sans condescendance.
Au bout d’un long couloir se niche un grand laboratoire argentique. Dans l’odeur du révélateur, on y retrouve des élèves qui s’activent à repiquer au pinceau des tirages barytés. Les émulsions négatives en noir et blanc côtoient les claies de séchage… C’est un peu l’antre de la photographie.
Simple département des Arts Plastiques d’une grande institution bruxelloise d’enseignement général
qui voulait s’en séparer, “Le 75” fut accueilli en 1969 par la commune bruxelloise de Woluwé-Saint-Lambert dont il devint l’Ecole Supérieure des Arts Plastiques avec ses ateliers de céramique, graphisme, gravure, peinture, photographie et sérigraphie. L’origine de son nom se trouve dans le numéro de son ancienne adresse.
Il y a 42 ans, sous l’impulsion d’Yves Auquier l’atelier de photographie acquit rapidement une notoriété en se fixant une ligne de conduite qui allait privilégier le reportage et le documentaire en se référant notamment à Dorothea Lange, Diane Arbus, Walker Evans, Henri Cartier-Bresson, Robert Capa ou encore Paul Strand.
C’est dans cette veine qu’ont été formés les actuels professeurs d’atelier. Vincent Everarts de Velp (photographe belge), Philippe Jeuniaux (photographe belge), Vito Gisonda (photographe belge d’origine italienne), Savvas Lazaridis (photographe grec), Jean-Marc Vantournhoudt, (photographe belge vivant en France) et Hugues de Wurstemberger (photographe suisse de l’agence VU’) sont pour la plupart en lien étroit avec le milieu professionnel tout en développant leurs projets personnels. Pour compléter la formation, les étudiants suivent les cours de quatre professeurs en histoire de l’art et quatre autres spécialisés en technique.
Chose rare, en première année l’argentique noir et blanc est obligatoire pour tous, et dans le même esprit, en seconde année, la formation à la chambre par un workshop d’Eric Dessert prend une place importante.
En troisième année, Vito Gisonda et Jean-Marc Bodson (professeur d’histoire de la photographie) animent un stage d’initiation à la commande documentaire dans le Cantal pour les étudiants qui le souhaitent.
Au « 75 », l’atelier de photographie est ouvert à toutes les formes du médium. Il privilégie une vision d’auteur centrée sur la création plastique en tant que langage et sur le documentaire en tant qu’interrogation du monde. D’une durée de trois ans, cette formation spécialisée est soutenue par une connaissance approfondie de l’histoire et de l’actualité de la photographie, par une réflexion sur ses enjeux présents (par ex. les nouvelles représentations ou encore, le documentaire sur Internet) et par l’apprentissage des techniques argentiques et numériques.
Si le programme Erasmus permet les échanges internationaux (notamment avec l’ENSP d’Arles en France), l’école elle-même accueille une belle diversité d’étudiants étrangers. Sans doute la qualité de vie à Bruxelles de même que des frais de scolarité peu élevés à moins de deux heures de Paris en train n’y sont-ils pas pour rien.
L’examen d’entrée se déroule sous formel d’un entretien personnalisé conduit par les professeurs. Il vise à étudier le projet personnel et professionnel des candidats, mais aussi à évaluer la capacité à s’intégrer dans la dynamique de cet atelier où l’on attache une importance particulière aux relations humaines. En première année, généralement on peut compter 40 à 50 étudiants, puis 30 à 35 en deuxième pour finir à 15-20 en troisième. Cela donne une bonne centaine d’étudiants en photographie dans l’école.
À la fin de la première année, un jury interne se rassemble et, les années suivantes, c’est un jury composé de personnalités du monde de la photo qui est invité à se prononcer sur les séries présentées par les étudiants. Parmi d’autres lors des dernières sessions, Stanley Greene (agence Noor), Christian Caujolle (Fondateur de Vu), Michel Guerrin (critique photo du Monde), Agnès Sire (directrice de la Fondation Cartier-Bresson), Carl de Keyser (Magnum), Larry Fink…
La communauté des anciens étudiants est soudée et se retrouve en masse lors des vernissages qui clôturent ces jurys, mais également lors des expositions des uns et des autres. En France, on retrouve pas mal de photographes issus du « 75 » dans de prestigieuses structures, à commencer par l’agence VU’ : Gaël Turine, Hugues de Wurstemberger, Christian Lutz, Yvon Lambert. Mais aussi à l’Oeil Public, chez MYOP ou ARGOS, à La Maison des photographes ou chez Signatures : Johann Rousselot, Stéphane Remael, Eléonore Henry de Frahan.
Au niveau des indépendants les parcours sont tout aussi intéressants et variés. Notamment Cédric Van Turtelboom (http://cedric-vanturtelboom.photoshelter.com), Beata Szparagowska, Olivier Cornil , François Goffin, Jean-Louis Godefroid (directeur de l’espace Contretype), Sébastien Van Malleghem.
En 2009, Marin Hocq est sorti de l’école et avec son travail d’étude, il a remporté le prix SFR 2011. Durant son cursus, il a particulièrement apprécié de reprendre la photographie par ses bases ainsi que la pertinence du suivi de son travail par six professeurs d’atelier. Pour lui, l’école ne présente pas de point négatif, “Je me suis bien éclaté durant trois années”.
Wilfrid Estève
Article publié dans le Journal de la Photographie le 1er octobre 2012.
Lien :http://www.leseptantecinq.be/fr/